Producteur de Radiographies du coronavirus et de La Méthode scientifique sur France Culture, Nicolas Martin a plaidé, devant les étudiant·e·s du MJMN, pour une plus grande culture scientifique des journalistes.
Journaliste à France Culture, Nicolas Martin produit et anime l’émission La Méthode Scientifique. Ancien professeur de Lettres, passionné depuis toujours par les sciences, il a pris les rênes de la tranche quotidienne de vulgarisation scientifique de la chaîne en 2016, après plusieurs années sur diverses antennes de Radio France puis la rédaction en chef de l’émission Entrée libre sur France 5. Diffusée cinq jours sur sept pendant une heure, l’émission, qui mobilise huit personnes, dresse un panorama de l’actualité scientifique avec toutes les problématiques qu’elle peut susciter. Il était à Metz samedi 10 octobre pour échanger sur son parcours et sa pratique avec les étudiant·e·s du Master Journalisme et médias numériques.
Arrive le confinement, Nicolas Martin et son équipe décident alors de créer une émission intitulée Radiographies du coronavirus diffusée tous les matins dès le 16 mars. L’objectif : faire un point quotidien de cinq minutes sur la recherche et donner les outils scientifiques au public pour qu’il comprenne mieux ce qui est en jeu avec cette maladie. Une émission qui sert aussi à « casser cette génération spontanée d’autoproclamés spécialistes.» Pendant près de trois mois, l’émission passe chaque jour en revue l’évolution des connaissances sur ce nouveau virus. Mode de transmission, traitements, comportement du virus, recherche d’un vaccin, idées reçues : les enjeux sont évoquées avec toujours l’idée de tout ramener aux études en cours.
Pendant les cinq minutes d’émission, Nicolas Martin évoque ainsi les différents travaux scientifiques, explique la recherche en train de se faire, relève les écueils possibles et analyse les emballements autour de prétendues solutions miracle. Article retiré par The Lancet, travaux de Didier Raoult, l’émission insiste sur le « niveau de preuve » sans lequel on ne peut construire un consensus scientifique. Quand Didier Raoult affirme avoir trouvé un remède avec l’hydroxychloroquine, le journaliste explique que son étude, effectuée sans groupe témoin, va à l’encontre de la démarche scientifique, qui exige qu’on puisse comparer des patients ayant reçu le traitement et d’autres ne l’ayant pas reçu afin d’espérer pouvoir tirer des conclusions.
Il pointe aussi du doigt la confusion que l’on peut trouver dans les médias généralistes sur le traitement de l’information liée au Covid-19. Trop nombreux sont ceux qui ont cherché à donner des réponses immédiates, ce qui va à l’encontre de la science qui « n’est jamais une vérité absolue. Toute hypothèse scientifique doit être réfutable .» C’est là que réside toute la difficulté du journalisme scientifique et va distinguer son émission de ce que l’on peut trouver dans le paysage médiatique.
Relayer la parole des gens qui savent
Le journaliste parle de son travail en mettant toujours l’accent sur la rigueur. Les Radiographies du coronavirus ne durent que cinq minutes, mais le travail prend toute une journée. Lecture de nombreuses revues scientifiques, vérification et synthèse des informations, écriture… puis chaque chronique est relue par des virologues, infectiologues ou épidémiologistes pour éviter toute approximation. « L’idée était de tout ramener aux études en expliquant où en était l’état de la littérature scientifique et donc revenir au réel. C’était quelque part rassurer les gens. » Rassurer un public un peu noyé dans cette masse d’informations.
Ce qui nous amène de manière plus générale à sa vision du journalisme. Dans un contexte comme celui de la pandémie, il doit plus que jamais être là pour comprendre et transmettre. « Le journalisme, c’est toujours vous forcer à penser contre vous même pour aller à contre-courant de vos sentiments naturels. Votre opinion, tout le monde s’en fout , dit-il aux étudiant·e·s. Je n’ai pas une parole d’expert. Je suis un relais. » En travaillant à laisser de côté ses convictions, on reste ouvert et en perpétuelle réflexion. C’est ainsi, pour Nicolas Martin, que les journalistes peuvent recueillir et analyser suffisamment de connaissances afin d’avoir la vue la plus globale du sujet, et pouvoir ainsi relayer la parole de ceux qui savent.
Au cours de l’échange, Nicolas Martin dresse également un état des lieux plutôt inquiétant de la culture scientifique dans le journalisme. Selon lui, des cours de journalisme scientifique, ou au moins une initiation à la démarche scientifique, devraient être obligatoires dans les formations. De même qu’un service scientifique au sein des médias, au même titre qu’il paraît évident qu’il existe un service politique ou un service sport. Une meilleure connaissance scientifique aurait entraîné un meilleur traitement médiatique sur le coronavirus, et certainement évité la propogation de certaines fake news et théories du complot. C’est ce que continue de faire Nicolas Martin avec Radiographies du Coronavirus, qui est désormais hebdomadaire, diffusé tous les vendredis, sans cesser de vouloir donner des informations sourcées et fiables au public.